Les Œuvres
Trois Magnificat
Monteverdi, Vivaldi, Rutter
Article de Thierry Merle
Les Œuvres
On imagine Monteverdi, Vivaldi et Rutter devant leur page blanche pour écrire ce cantique à la Vierge. Un saut dans l’inconnu pour Monteverdi, lorsque, sous l’impulsion de quelques-uns dont il faisait largement partie, se découvre en Occident l’immense champ de la polyphonie. Pas plus simple pour Rutter, où tout semblait être déjà dit et écrit sur ces paroles répétées depuis 20 siècles… Des questions autres mais tout aussi prégnantes pour Vivaldi, très habitué à l’opéra qu’il était interdit ici de vouloir transposer un tant soit peu….
(Vierge du Magnificat) –
Botticelli (1444/1445-1510) –
Florence, Galerie des Offices
Première remarque qui saute aux yeux lors d’une première lecture des partitions, c’est le soin extrême apporté par tous trois au verset « Et misericordia« . Manifestement ils apparaissent comme la page centrale de chacune des trois œuvres. On ne saurait lequel choisir, mais la beauté indicible de l’un n’est égalée que par celle des deux autres !
Le Magnificat de Claudio Monteverdi
Le Magnificat de Claudio Monteverdi à 7 voix est une pièce qui fait partie du recueil des Vêpres de la Vierge, édité en 1610. Le Magnificat ayant été composé dans les dernières années du XVIe siècle.
Le plain chant traverse tous les versets de l’œuvre, et met en valeur tantôt un pupitre du chœur, tantôt un soliste, tantôt un instrument tel le trombone.
L’œuvre s’ouvre par un chœur bref mais saisissant, laissant 2 sopranos terminer la phrase.
Un duo de soprano sur le « Et exultavit » met en relief la capacité des solistes à vocaliser, tandis que les ténors du chœur tiennent le cantus firmus.
Après un solo de ténor accompagné très délicatement par les flûtes, puis un duo de ténors confié au pupitre du chœur, c’est une page de toute beauté qui se présente à tous avec le « Et misericordia« . Un instant magique qui fait dialoguer les pupitres hommes-femmes dans une atmosphère apaisée. Instant magique, oui ; musique admirable certainement.
L’Annonciation ( détail)
Zurbaran (1598-1664) –
Musée de Grenoble
La vivacité orchestrale reprend ses droits avec le « Fecit Potentiam » avant de donner à nouveau le cantus firmus au soliste ténor.
Après un duo de sopranos virtuose, et un verset « Sicut locutus est » particulièrement puissant, c’est un duo de ténors extraordinaire qui est proposé, l’un des protagonistes intervenant en écho sur un plain chant confié aux sopranos du chœur : encore un instant magique ! L’œuvre se termine sur un chœur puissant, où s’enchaînent des accords abrupts dans une atmosphère empreinte de majesté.
Le Magnificat d’Antonio Vivaldi
Le Magnificat d’Antonio Vivaldi s’ouvre sur un chœur qui ne semble pas très éloigné de la composition précédente… Mais ce n’est que trompeur car dès le 2ème verset, la joie typiquement italienne déborde d’exubérance dans un passage qui fait intervenir tour à tour les 3 solistes.
Pourtant l’intérêt de ce Magnificat réside sans aucun doute dans le « Et misericordia » confié au chœur. Une page admirable, véritable joyau de la musique occidentale… Le paradis n’est pas loin.
Après un chœur à l’unisson sur le « Fecit Potentiam » c’est à nouveau un duo de soprano qui est à l’honneur sobrement accompagné par le violoncelle une succession de cours énumérant les derniers versets du texte nous amène à l’amen final dans un style typiquement italien.
Le Magnificat de John Rutter
Avec John Rutter, nous arrivons à un autre monde. Disons d’emblée que ce Magnificat probablement moins connu que le précédent, est pourtant une des plus belles pages que nous a laissée le XXème siècle. Amplement développé, d’une longueur égale aux 2 autres réunis, il propose une écriture particulièrement soignée où l’auteur montre une capacité à demander, à chaque instrument comme à chaque chanteur, l’exacte limite de ce qu’il peut atteindre.
Nous sommes bien en présence d’un chef d’œuvre mais qui se laisse difficilement apprivoiser, tant la rythmique est surprenante… et pourtant très savamment agencée.
Le premier chœur est gigantesque et requiert tous les instruments avec nombre de bois et de cuivres. La joie est palpable dès les premières interventions du chœur.
Le 2ème verset est surprenant, puisque Rutter a écrit sur une musique champêtre un poème qui s’insère merveilleusement bien…
Le 3ème verset est solide et puissant sur le « Quia fecit« . Il se termine sur un « Sanctus » aérien d’une rare beauté.
Le « Et misericordia » fait dialoguer la soliste soprano avec le chœur. Instant magique !
Le « Fecit potentiam » est d’un rythme endiablé au vrai sens du terme. Le chœur est sollicité au maximum de sa puissance !
St Luc peignant la vierge ( détail)
Arcabas,
Musée départemental d’art sacré
Le verset « Esurientes » fait à nouveau dialoguer la soliste mezzo-soprano avec le chœur avant que le final arrive comme un feu d’artifice. Le chœur réalise alors des prouesses dans des tessitures particulièrement tendues, tandis que l’orchestre apporte une couleur magnifique et un rythme implacable…
Un des plus grands Magnificat de l’histoire !